À propos d’une exposition de Véronique Joumard.
A, comme « Aimants, jaune, fluos, etc… »
C’est le titre de l’exposition, mais c’est aussi parce que Véronique Joumard a recouvert certains murs de la Villa du Parc de peinture métallique jaune, et y a ensuite malicieusement installé des aimants. Ils se font motifs repositionnables sur le mur peint, tableau aléatoire, dans un petit jeu de retournement de la fonction des éléments de la peinture même.
B comme bougie.
Celle de la vidéo Bougie 1, qui se consume dans la durée de son image infinie. La convergence entre l’écran et l’éclairage invite-t-elle à une métaphore de la prochaine ère de lumière numérique ?2
C. Caoutchouc aimanté en plaques posés sur des étagères métalliques pour des sculptures malléables, manipulables, repositionnables et re-configurables à loisir (même si c’est toujours mieux lorsque c’est l’artiste qui les arrange …) Oeuvre de citation entre Art Minimal et Anti-Form, certes, mais citation ludique …
D de Danger : danger des fils électriques à portée de main dans la pièce Fluos. Car ici comme très souvent, l’artiste aime à sortir, tirer, exhiber les éléments des structures électriques. Elle s’est maintenant un peu assagie, mais on a pu voir lors d’expositions antérieures des circuits électriques dénudés, des résistances rougies courir de long des murs et des sols de l’exposition.
Ces pièces s’inscrivaient alors en une présence forte, et dans l’espace réel, et dans l’espace mental par leur dimension dangereuse.
E de Electricité.
Chez Véronique Joumard, on pourrait répertorier tout l’outillage et les éléments d’une mallette d’électricien : interrupteurs, câblages, multiprises, ampoules, néons, résistances électriques… Il semble que l’artiste ait effectivement développé un goût prononcé pour l’électricité et ses constituants.
F, de fluo.
La peinture quasi fluo, mais les néons fluos aussi, ces fluos qui brouillent, perturbent la vision à force de les regarder. Car tout est affaire de perception dans le travail de l’artiste, une perception sensorielle qui naît de la lumière tout en la remettant continuellement en jeu.
G. Genius Loci, ou l’esprit protecteur du lieu.
Véronique Joumard a toujours revendiqué l’influence de l’architecture sur son travail. Aussi, ce n’est peut-être pas un hasard si elle n’expose que dans des lieux singuliers et qu’elle conçoit ses accrochages dans un respect de l’architecture existante.
H. Horloge.
Elle n’était pas à la Villa du Parc, mais toute visite d’une exposition de l’artiste me renvoie à cette pièce toute simple ; Une horloge3, dont elle a retiré les aiguilles hormis celle des secondes. Seule en son cadran, elle tourne alors dans un mouvement continu, un temps dilué.
I comme Immeuble.
L’exposition présentait deux photographies d’immeubles la nuit.
Les grandes images, intitulées Extérieur, étirent des façades d’immeubles éclairés de l’intérieur. Ces surfaces lumineuses forment une grille ordonnancée par la succession des espaces identiques, dont certains sont lumineux, d’autres pas. Plus qu’une surface écran, on pensera alors à une surface de jeu, tantôt activée, tantôt en veille…
J, c’est la couleur jaune, celle de la peinture murale, peinture métallique, peinture de peintre en bâtiments… Mais cette couleur nous renvoie vers d’autres murs, d’autres espaces d’expositions, peints en orange cette fois-ci, un orange thermosensible, qui marquait l’empreinte de notre main ou de notre corps. Ailleurs, c’était un bleu, ou encore un vert qui recevait les dessins à la craie des passants (Maison-Tableau au jardin des Tuileries, 2008). « Plus que la peinture, ce sont les couleurs qui m’intéressent et leur évolution dans le temps : par rapport à la chaleur, la lumière. »
K. Le K, l’artiste ne s’y est pas arrêté. C’est pourtant une structure tubulaire composée de plusieurs miroirs qui complexifient la vision et recomposent une image infinie, et merveilleuse. C’est le kaléidoscope.
Mais se méfie-t-elle, peut-être sagement, du trop féerique ?
L comme Lampes. Car Véronique Joumard aime définitivement les lampes4. Elle les déniche partout, dans les espaces publics, privés, intérieurs ou extérieurs… Et elle en crée aussi ou en ramène simplement dans l’espace comme ici avec les lampadaires. Toutefois, les lampes, simples diffuseurs de lumière, ne sont que des prétextes à une recherche sur la lumière, matière bien plus intéressante pour l’artiste.
Alors, L comme Lumière surtout.
Véronique a commencé par photographier le soleil et la lune, les éclairs aussi, puis des bougies, des lampes, des ampoules, ou même les trois tubes cathodiques du vidéo projecteur… En s’arrêtant sur ces points de lumière, tant naturels qu’artificiels, visibles ou invisibles à force d’évidence, elle attire notre attention sur les sources de la lumière. Tout en insistant sur le paradoxe que si la lumière se montre alors, elle n’en est pas mois celle qui permet de voir, et à fortiori de se faire voir…
M comme miroir.
« Nous découvrîmes que les miroirs ont quelque chose de monstrueux. Bioy Casarès se rappela alors qu’un des hérésiarques d’Uqbar avait déclaré que les miroirs et la copulation étaient abominables, parce qu’ils multipliaient le nombre des hommes. » (Borges5)
Les Miroirs de 2001, (réflecteurs en plexiglas), distordaient notre image, ceux qui suivirent, Miroirs 6 2003, (couverts d’un film plastique) devenaient brumeux lorsque l’on se plaçait devant eux. Et les larges lentilles de Fresnel suspendues dans l’espace d’exposition, telles des « angles morts géants » qui engouffrent l’espace, s’ils laissent notre regard traverser la surface, en brouille toutefois la vision7.
En fait, et les lentilles et les miroirs détournaient la lumière au lieu de focaliser la vision, comme privés de leur finalité réfléchissante. Est-ce parce que l’artiste partage avec Borges cette angoisse des miroirs ?
Reprenons donc le récit du monde de Tlön qui précise : « Le texte de l’Encyclopédie disait : Pour un de ces gnostiques, l’univers visible était une illusion ou (plus précisément) un sophisme. Les miroirs et la paternité sont abominables parce qu’ils le multiplient et le divulguent. »
Si l’ensemble de l’œuvre interroge, tour à tour et tout ensemble, la photographie, les sources lumineuses, les surfaces réfléchissantes, les angles morts, et les jeux de miroirs… c’est peut-être parce que nous sommes invités à nous interroger quant à l’illusion du visible ?
N. Néons. Ceux du plafond d’une salle de la Villa du Parc descendus et suspendus par ses fils électriques formant ainsi une sculpture dans l’espace, légère et aérienne, qui de surcroît, s’éclaire, de fait, elle-même. On notera d’ailleurs que la distinction entre un objet usuel, sa fonction et l’œuvre d’art est souvent très ténue dans le travail de l’artiste. Cf. Objet.
O. Objet.
« L’art de Véronique Joumard s’ouvre ainsi à une tendance profonde, celle qui voit l’œuvre douter de sa légitimité qui serait la sienne à s’instaurer en objet de contemplation et qui donc, parce qu’elle consiste, malgré tout, en un objet, transforme celui-ci en appareil en appareil à regarder ce qui n’est pas elle. » 8
P, que l’on réservera à Photographie.
Jouant des composants révélateurs de ce médium, l’artiste opère principalement des « focus » sur les sources lumineuses. « Quand je les ai réalisées [les photographies de lumières], j’ai effectué un court-circuit, pour utiliser un vocabulaire électrique, au sens où je n’ai pas photographié une scène éclairée mais la source de lumière. Évidemment, c’est la photographie qui est interrogée, là. »9
Q. Une question ?
R, comme ces Résistances électriques qui mettaient en tension les premiers travaux de l’artiste. Je pense notamment à cette très belle pièce de 1985 où deux poutrelles métalliques alimentaient en courant électrique une ampoule qui, forte de sa fragilité, les soutenait dans une tension précaire.
S. « Solarium et autres pièces », exposition au Crédac en 2006.
Le Solarium, premièrement installé au Crédac, mais que l’on trouve de manière pérenne au Musée des Beaux arts de Nantes, est un plafond de lumières, qui diffuse lumière et chaleur, car bien sûr, pour l’artiste, l’art ne peut être que rétinien…
…mais que l’on trouve maintenant accrochée au Silo, lieu d’exposition de la collection des Billarant près de Paris
T. Titre.
Orange, miroirs, travelling, lumières, vidéo (2003), Solarium et autres pièces (2006), Lumières, Lunes et Constellations (2007), Aimants, jaune, fluos, etc.… (2011).
A-t-on remarqué comment les titres des expositions de Véronique Joumard sont des inventaires des objets, matériaux ou pièces installées ?
C’est d’ailleurs en écho à ces titres en forme de liste que j’ai choisi la forme de l’abécédaire.
U. J’ai choisi le mot Univers afin de renvoyer le lecteur à un beau texte écrit sur l’œuvre de l’artiste, intitulé The Earth from the Moon10.
V. Vert. Encore une couleur, celle d’une autre peinture thermosensible, celle du Mur-Tableau, ou même du Tableautin dans une référence immédiate aux tableaux de classe de notre enfance.
W. Watt. Oui, c’est vrai, combien de Watts consomment les expositions de l’artiste ?
X. x restera l’inconnue, la variable ou l’indéterminée…
Y. Et y la seconde inconnue !
Z. Et enfin, Z comme Zen, juste parce que Véronique Joumard aime beaucoup la culture bouddhiste… Et que tout son travail, dans un glissement entre minimalisme, radicalité des gestes, emprise de l’expérience, et perception nous invite à méditer les conditions mêmes d’apparition de la lumière, à savoir les conditions mêmes du « voir ».
Véronique Terrier Hermann
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